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Chapitre 10

 

Après coup, je me ruai sur ma boîte de médicaments. Les xanax. Et les enfilai. J’en pris quatre, cinq, huit, dix. Peut-être qu’ils me feraient dormir suffisamment longtemps.
Je me sentis partir. Perdre le contrôle de mon corps. J’allumai une cigarette. Tant pis pour l’odeur. Je sentis mes membres s’engourdir et la tête me tourna. Sous le coup des médocs, ou de la cigarette peut-être. Ca faisait longtemps que je n’avais pas fumé, après tout. Bien quelques jours.
Je m’allongeai dans mon lit. « Tes paupières sont lourdes, lourdes… » souffla une voix rauque dans le creux de mon oreille.
Clic, clac, clic, clac.
J’étais si fatiguée, si fatiguée, il était temps que je dorme maintenant.
Mais non, non ! Si je ferme les yeux, comment être sûre que je les rouvrirai un jour ? Tiens bon, Lu, tiens bon… Faut que tu résistes, allez.
Mais après tout, n’était-ce pas ce que j’avais toujours voulu ? Tout quitter ?
Si j’avais su que je prendrais un jour le rôle de ma folle de mère. Même Betty m’avait abandonnée. Quand je lui avais fait part de mes envies suicidaires, ses yeux avaient changé. Comme si un voile s’était créé entre elle et moi. Elle m’avait chuchotée qu’elle ne pouvait plus me suivre, « parce que, tu comprends Lula, c’est de la folie… » Oui, oui, ça doit être ça. Je suis folle. Comme ma folle de mère. Folles à lier. Quelle ironie. Elle qui m’avait pourtant promis que jamais, au grand jamais, elle ne m’abandonnerait.
Elle ne m’a pas abandonnée. C’est moi qui suis partie.

Le lendemain, je me réveillai vers midi, sans aucun souvenir de la veille. Je crois que Maman est venue me border lorsqu’elle est rentrée, puis voyant que je dormais, m’a laissée tranquille.
A quatorze heures, j’avais rendez vous chez Creuzet. Ce devait bien être mon quinzième. Des semaines et des semaines s’étaient écoulées depuis le premier.
Elle me demanda comment j’allais.
- Mal, dis-je. Je songe sans cesse au suicide. Mais il y a trop de gens que je pourrais détruire. Parfois, je cesse de penser à eux, et pendant quelques instants, je me vois rédiger une lettre d'adieu et accéder à l'autre monde qui est si proche… Puis je me rappelle qu'on m'aime. Et merde. On dit, ou je dis, que le suicide c'est lâche. Mais quelque part, n'est ce pas une courageux que de savoir être lâche ? Courageux vis à vis de soi même, lâche vis a vis de ceux qui restent. C'est refuser d'affronter la vie. Peut-être qu'ils appellent ça une maladie parce que ça leur fait peur. Mais peut-être que c'est eux qui sont malades, de vouloir faire revivre les morts…
- Qu’en disent tes parents ?
- J’en sais rien.
Quelques instants plus tard, nous parlions de ma sensibilité. Elle me demanda si je pleurais souvent, je répondis que non.
- Je n’arrive plus à pleurer. Je ne gère plus ma souffrance de la même façon.
- Comment ça ?
Je n’en pouvais plus, de ces questions à la con.
- Disons que je suis passée des larmes aux lames.
Et, à nouveau, elle me questionna sur qu’en disaient mes parents, me demanda comment se passait l’école, comment je percevais mon avenir.
Et j’explosai.
- Et puis merde, ça sert a rien tout ça ! Vous savez pas m'aider, vous pouvez rien pour moi. Ces rendez-vous sont stériles, je pose mon cul sur ce tabouret pour vous parler de cours ou de famille, mais ce n'est pas de ça dont il faut me libérer !
Elle restait calme. Toujours impassible, à me jauger par dessus ses fines lunettes. Toujours. C'en était assez.
- Allez, c'est ça, taisez vous, laissez moi exploser ! Ça fait des siècles que cette thérapie dure mais j'en ai ma claque de toutes ces conneries. Chialer dans le métro, longer les bords des quais en me provoquant à sauter, regarder les rails disparaître sous les wagons et imaginer mon corps scié en deux. J'en veux pas de cette vie, vous comprenez ? J'en veux pas, je vous dis ! Ça sert a rien c'est absurde, c'est tellement douloureux. Je suis vide, perdue, usée, une antre vide, vide, vide. Mais que faire de tout ce vide ? Comment le supporter ? Vous savez pas ce que c'est. Parfois, on me félicite pour avoir minci mais ces connards ne savent pas que c'est parce que je n'arrive plus a bouffer, et qu'en un temps record je sais perdre un cinquième de mon poids. Vous savez pas ce que c'est. De ne pas pouvoir avaler le moindre ingrédient parce que putain, ça pourrait vous faire du bien. De courir foutre votre crâne dans la cuvette des chiottes parce que vivre fait si mal que ça vous fout la nausée. De vous jeter en furie sur n'importe quoi pourvu que ça entre dans votre bouche et d'avaler, jusqu'à sentir votre estomac presser contre vos tripes. De gober ces anxiolytiques que vous me refilez pour pouvoir dormir et échapper à ces insomnies qui vous rappellent vos visions diurnes. D'avoir peur de foutre un pied dehors parce que parfois, subitement, des visions hallucinées vous assiègent et tout le monde se transforme en cadavre. Personne ne vit ! Ils sont tous morts dehors ! Et puis rentrer chez soi et gober des cachets, des psychotropes par poignées pour pouvoir déconnecter, comme une intox, d'être défoncée, mais de ne pas pouvoir s'empêcher de se balader avec une flasque, juste au cas où, de boire comme un trou pour oublier, de s'enivrer d'une clope dans la nuit et de la voir se consumer sur vos lèvres pour mourir dans votre gorge, de vous faire tourner la tête avec n'importe quelle substance pourvu que ce monde disparaisse. De choper un marteau pour éclater votre pensée en même temps que vos genoux. De bloquer votre esprit une minute en regardant vos pupilles appeler a l'aide parce que l'oxygène ne leur parvient plus : y a une putain de ceinture qui broie votre cou ! Puis de se jeter sur un cutter, un rasoir, une brindille, un taille crayon, un couteau, des ciseaux, n'importe quoi, même un angle de boîte pourvu que ça puisse entailler votre peau, de chérir vos lames et de les aimer plus que n'importe qui parce qu'elles vous libèrent lorsqu'elle vous permettent d'observer amoureusement les gouttes pourpres tomber au sol et les étaler partout, partout sur votre corps, votre figure et votre âme. Vous savez pas ce que c'est, de l'avoir inscrit dans vos gènes... Mais c'est impossible, je ne suis rien de tout ça. Lula ne fume pas, Lula ne boit pas, mais qui est-ce qui déchire ma chair ? Lula n'est rien de tout ça ! Je ne suis plus là, alors laissez mes putains de poumons rejoindre mon âme. Laissez moi partir bordel c'est pas moi ! Lula est partie, Lula est morte !
Folie furieuse. 
- Vous les voulez vos billets ? Nickel ! Les voici ! Mais vous n’êtes bonne qu’à ça. Récupérer la monnaie. Et prescrire des putains de médocs. Allez y, collez moi un autre diagnostique sur le front, une autre étiquette, une autre boîte, rangez moi sagement. Qu’est ce qui vous fait croire que je suis malade ? Parce que je ne pense pas comme la masse ? Parce que je vois noir ? Parce que je ne suis pas les traces grossières et barbouillées de mes aînés ? Je ne suis pas malade. Je suis juste moi. Foutez moi la paix.
Et j’ai claqué la porte derrière moi.
Je ne sais pas vraiment à quel moment je me suis mise à pleurer.
Peut-être aurais-je du rester. Peut-être qu’ainsi, elle n’aurait pas appelé ma mère pour lui dire de me surveiller et de rester avec moi. Peut-être qu’ainsi, j’aurai pu me tailler les veines en paix.
C’est ce que je fis, sur le chemin. Je grattai comme jamais mon poignet et rouvrit de récentes plaies. Ca se mit à saigner, et bientôt, mon pull blanc vira au rouge. « Qu’importe », susurra une voix.

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