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Chapitre 1

 

La cloche retentit. L’excitation de la classe était à son comble, je les sentais gigoter tout autour de moi. Nous nous levâmes, nous emparâmes de nos sacs et nous dirigeâmes vers la grille. Les rires fusaient, la voix des uns cherchant constamment à couvrir celles des autres. Je suivis la foule, affichant un large sourire à tous ceux qui daignaient m’adresser un regard. On m’attrapa par la manche, m’entraînant hors de la cohue d’élèves. Je m’apprêtais à contester, lorsque j’aperçus la bague en papillon portée par la main qui me trainait. «Betty, Betty, doucement !» tentai-je de lui crier. Je lui avais offert cette bague pour son dernier anniversaire. Je manquai de trébucher. Enfin, elle s’arrêta.
«Viens, ils sont au parc, ils nous attendent !» m’ordonna-t-elle. Toujours souriante, quoique mon expression joviale se transformait peu à peu en grimace maladroite, je lui emboîtai le pas.
- Ça va ?
- Oui, oui, très bien. Paul doit nous retrouver au parc !
Paul, le fameux. A l’époque, lorsque je lui avais offert sa bague, elle désespérait encore de le voir courir après Lise. Comme les temps changent, comme les gens changent. Paul allait au lycée privé de la ville voisine depuis des années, lui et Betty s’étaient rencontrés quelques mois plus tôt à leur cours commun de guitare. Depuis, elle ne cessait de m’en parler. Elle avait fini par lui proposer de passer à la sortie des cours, un soir, et voila qu’il s’était lié d’amitié avec Quentin et Emile. Depuis, Marie, Betty, Quentin, Emile, Paul et moi, on se séparait plus. Paul avait fini par renoncer à la belle Lise et avait ouvert les yeux sur Betty. Et voila que la petite Betty, qui commençait à désespérer, avait vu son joli rêve se réaliser. Paul, il me laissait sceptique. Il semblait si inoffensif, et pourtant, détenait l’âme de Betty entre ses longs doigts maigres. Elle était si fragile ! Un mauvais geste de Paul aurait suffit à émietter son être. Elle semblait constituée de cristal, précieuse et fragile au possible.
- Tu parles pas ?
Je sursautai.
- Si, pardon, je pensais.
- À quoi ?
- Rien d’important. C’est incroyable qu’il fasse si beau !
Elle sourit. C’était vrai, le Soleil était accablant depuis plus d’une semaine. La belle se pavanait en robe, tandis que je regrettais mes cols roulés.
Nous arrivâmes au parc, et retrouvâmes les autres. Ils étaient allongés dans l’herbe, s’envoyant mollement une balle de tennis.

Tous les problèmes semblaient derrière. Le lycée était fini pour deux longues semaines, la chaleur de l’été s’était installée, les mères se prélassaient au Soleil et les enfants grimpaient aux arbres. Quelle scène utopique ! Je ris intérieurement, en voyant cet instant si caricatural. Paul et Betty gloussaient dans un coin. Je croisai le regard de Quentin. Celui ci s’immobilisa, jusqu’à ce qu’Emile le fasse basculer : les grands yeux bleus du pauvre Quentin se froncèrent lorsqu’il reçut la balle en plein dans le ventre. Les garçons se mirent à se courir après, Betty suivit. Marie s’approcha.
- Regarde les !
Je levai les yeux vers elle. Ses cils revenaient machinalement vers le groupe. Elle souffla alors, dépitée.
- C’est Emile ?
- Non. Enfin, un peu.
- Qu’est ce qui s’est passé ?
Nous nous sommes regardées. Elle m’a d’abord semblé réticente. Mais je n’ai pas cillé.
- Rien de nouveau, tu sais.
- Comment ça ? insistai-je.
- Rien, depuis qu’on s’est embrassés.
Je la contemplai, navrée de la situation à laquelle les évènements l’avaient conduite. Nous échangeâmes un large sourire.
Le troupeau de quatre revenait vers nous. La nuit arrivant bientôt, il fallait rentrer.
“À table !” hurla maman à travers l’appartement. “Allez, c’est chaud !”
Alexis m’interpela. “Allez Lu ! Bouge toi !” Je laissai tomber mon crayon, ôtai mes écouteurs, et le suivis. “Ça va, j’arrive !”
Il tenta d’embrasser ma joue, mais je le rejetai vivement.
- C’est bon, laisse moi ! crachai-je.
Il partit devant moi d’un pas furieux. Je le retrouvai, teigneux, dans la cuisine.
- Votre père ne dine pas ici ce soir. Trop de boulot. Faites passer les assiettes, s’il vous plait.
On commença à dîner. À l’image de chaque soir, Alexis conta son histoire. D’abord grossièrement, puis il repassait toute la journée à la loupe et détaillait les faits et gestes. Maman et moi mangions en silence, écoutant d’une oreille amusée les longs discours de l’homme de la maison.
- …Et ça ne mène à rien ! Comment peut-il espérer s’en sortir s’il ne fait aucun effort ? Même sa copine ne lui…
Et il déballait ainsi, en continu, jusqu’à ce qu’il réalise que nous avions fini nos assiettes.
- Mange ! lui intimai-je.
Il sembla reprendre son souffle.
- Allez, on a terminé ! Tu parles trop !
- Ok, pardon. On part la deuxième semaine ?
Maman releva la tête de son téléphone. Elle cligna des yeux quelques secondes.
- Je ne crois pas.
Nous débarrassâmes la table, et retournâmes à nos activités, chacun partant de son côté.
Je sortis un livre. Comme il était agréable de se sortir du quotidien ! La routine étouffante allait finir par m’achever. Il était question d’une jolie blonde au regard perçant, rencontrant un bel inconnu ténébreux sous la tour Eiffel. Le romantisme du champ de mars. L’histoire d’un coup de foudre. Après quelques dizaines de pages, je refermai l’ouvrage. Ce n’était vraiment pas ce dont j’avais besoin. J’éteignis la lumière et fermai les yeux.

Je les rouvris une douzaine d’heures plus tard, sous un soleil de midi éclatant. Je balançai mes jambes hors du lit, m’habillai, et jetai un coup d’œil à mon ordinateur. Il était prévu de déjeuner dehors, à six. Nous nous retrouvâmes
- Alors, prêts ?
Quentin zigzaguait sur le trottoir avec une fluidité impressionnante.
- T’as enfin sorti ton skate !
Paul lui courut après, bientôt suivi par Emile.
- Ils sont inlassables, hein ?
J’esquissai un sourire.
- C’est certain.
Jonglant avec une balle en mousse, Betty racontait son dîner à Marie. J’écoutais d’une oreille distraite. Mes pensées papillonnaient vers Charlie. Était-il déjà parti loin d’ici ? Je savais qu’il était censé visiter Naples, durant les vacances. Mes heures d’espionnage cramponnée au clavier finissaient par payer… Ne plus pouvoir décrypter son visage dans les couloirs allait me manquer.
Nous finîmes par nous asseoir sur un banc, les uns sur les autres. Je les entendais ricaner.
- Dites, vos parents sont mariés ? questionnai-je, pensive.
- Oui ! glapit Betty. A l’époque, lorsque mon père a demandé sa main à ma mère, ils avaient pris un taxi, mangé dans un chic restaurant français, puis il l’avait conduite aux pont des arts.
Betty leva les yeux, rêveuse.
- Ce soir là, le Ciel était voilé de paillettes. Les étoiles étaient resplendissantes ! Mon père s’est agenouillé et a sorti la bague. Ma mère a fondu en larmes avant qu’il ait prononcé le moindre mot. Il est resté bouche bée à la regarder sangloter sans bouger pendant quelques instants, jusqu’à ce que ma mère se ressaisisse et se jette à son cou en lui murmurant “oui, oui, oui !”.
Elle esquissa un sourire mélancolique. Les yeux brillants, elle semblait admirer le romantisme de ses parents. Tous les regards se croisaient brièvement sans que personne ne prononce un mot.
- Mon père est tombé dans le caniveau en sortant l’écrin de sa poche ! intervint alors Émile.
Le malaise se dissipa instantanément : nous éclatâmes de rire en chœur.
- Si, je vous assure ! Il a raccompagné ma mère chez eux, heureusement que c’était à côté. Il a prétendu ressortir acheter un paquet de clopes. Il a appelé ton père, Bett’, au milieu de la nuit, pour l’aider à retrouver la bague. Et cet imbécile s’est pointé à la maison sans cigarette !
- Non ! s’écria Betty, hilare. On m’a jamais racontée cette histoire !
Leurs pères étaient amis depuis le collège. Nous rigolâmes longtemps, à l’évocation de vieux souvenirs paternels. Nous ne rentrâmes chez nous que de longues heures plus tard, heureux de cette journée. Le lendemain, Betty prit l’avion. Marie en fit autant le jour suivant, et Emile disparut dans la campagne. Des jours passèrent.

Une fois encore, je fus réveillée par la sonnerie de mon téléphone.
- Mpf ? grognai-je après avoir décroché.
- Oh, Lula, t’abuses ! Me dis pas que je te réveille ?
- Euh… Non, non. Qu’est ce qu’il y a ? demandai-je, la voix pâteuse.
- Maintenant que même Marie et Betty sont parties, il ne reste plus personne d’autre que toi et moi !
- Formidable.
- Ah, tu la joues comme ça ? Ok, reste enfermée sous tes couvertures avec Tom Tom. Rappelle moi quand il se mettra à parler !
Il raccrocha. Je rigolai. Tom Tom, c’était l’ours en peluche qui dormait depuis des années au fond de mon lit. Je le sortis de sous les couettes et l’agrippai contre moi. Maladroitement, en tordant le bras droit, je parvins à prendre une photo de la scène plutôt burlesque. Je l’envoyai à Quentin. “Sois pas jaloux”, indiquai-je en légende. Quelques secondes plus tard, je reçus sa réponse. Il m’avait envoyée une photo, lui aussi, sur laquelle il se trouvait allongé sur son transat, sourire aux lèvres, lunettes de soleil sur le nez. Par l’épaule, il tenait une jeune fille, dont le visage était encadré par de longues bouclettes brunes. Ses lèvres pulpeuses découvraient des dents régulières. “Toi non plus”, avait-il légendé. Je composai son numéro. Il répondit rapidement.
- C’est ta sœur ou ta cousine ? me moquai-je.
Il s’esclaffa.
- T’es cruelle, Lula !
- Alors ? persistai-je.
- J’ai pas de sœur. C’est la fille d’amis de mes parents, elle s’appelle Chloé.
- Qui t’a parlé de Tom ?
- D’après toi ?
Je n’avais pu confier des détails de mon existence aussi futiles que le prénom de mon doudou qu’à Betty.
- En tout cas, je suis flattée d’apprendre que malgré ta nouvelle amie, tu parles de moi dans mon dos, et de savoir que tu t’intéresses tellement à moi que tu vas jusqu’à t’enquérir du petit nom que j’ai donné à mon nounours.
- Que veux-tu, je ne serais pas moi si je n’enquêtais pas sur les petits détails ridicules de la vie de mes amis.
- C’est vrai. Bon, je ne crois pas que Tom se mette à parler. Tu veux faire quoi aujourd’hui ?
- Je pensais aller bosser à la bibliothèque, puis, vu qu’il fait beau, sortir prendre un goûter dans un parc, ou quelque chose comme ça.
- Je suis conviée ?
- Évidemment, que ferais-je sans toi dans une bibliothèque ?
- Ouais, ça m'intriguait aussi. Dans une heure devant chez toi ?
- C’est parfait. Te rendors pas, Nana. Je compte sur toi pour moins de vingt-sept minutes de retard ? C’est ton dernier record.
- Je serai à bicyclette. On verra qui fait le malin sur sa planche à roulette, quand tu auras les fesses dans l’herbe, parce que tu comprendras enfin que les roues des skates ne sont pas faites pour les parcs. Bisous.
Je raccrochai. Tout ça me laissait bien vingt minutes de sommeil supplémentaire.
Je finis par sortir du lit, et retrouvai Quentin.
- Je te présente Chloé, m’annonça-t-il.
Je n’avais pas aperçu la brunette qui se cachait derrière lui.
- Bonjour, dit-elle timidement.
- Salut, Lula, annonçai-je en l’embrassant. Tu viens à la bibli ?
Elle se tourna vers Quentin.
- Oui, elle vient. Allons y.
J’enfourchai mon vélo. Quentin fit de même, Chloé s’asseyant sur le porte bagage. 
- Tu as renoncé à ta planche ?
- Chloé m’a convaincu de partager son vélo. C’est plus rapide comme ça, on peut couper par le parc.
- C’est ce que je t’ai toujours souligné, soupirai-je.
- “Qui aime bien châtie bien”.
Il enfonça une pédale et partis en trombe. Je partis à sa poursuite. Je ne l’apercevais pas. L’engin sur lequel ils étaient assis virevoltait insatiablement, dissimulant le conducteur à ma vue, derrière de longues boucles noires emportées par le vent.
Nous roulâmes à travers ruelles et trottoirs une quinzaine de minutes, avant de quitter le béton pour la terre. Nous traversâmes une longue étendue d’herbe où jouaient chiens et maîtres, enfants et nourrices, et bandes d’adolescents. Je détournai le regard de ces festivités pour me concentrer sur le trajet. Nous arrivions à une apparente impasse, au fond du parc. Nous descendîmes de nos vélos, poussâmes une barrière, et nous retrouvâmes dans une rue piétonne. Une centaine de mètres plus tard, nous étions arrivés à destination. Nous attachâmes nos bicyclettes à la grille qui faisait face à l’édifice municipal, et pénétrâmes dans la bibliothèque.
Les heures qui suivirent ne furent guère très envoûtantes. Installés à une large table jonchée de graffitis, nous sortîmes cahiers et trousses et travaillâmes. Quelques exercices, un peu de lecture, et de nombreuses minutes perdues à contempler l’horloge. “Qu’elle était étrange !” songeai-je en la décortiquant du regard, au bout de deux heures qui m’avaient paru en durer cinq. Le cercle de métal était cloisonné derrière une cage en verre. Le cadran s’enfonçait toujours plus vers l’intérieur de l’horloge, en une spirale infinie. “C’est absurde”, songeai-je. “Le temps n’est pas infini.” Je secouai la tête. “Concentre toi, Lula !” m’ordonnai-je. Je retournai à mes cahiers.
Nous finîmes par partir : la faim nécessite les moyens. Nous allâmes nous chercher un goûter avant de nous installer sur un banc, à proximité de nos vélos. Nous bavardâmes cours quelques instants avant de s’enthousiasmer pour le beau temps. Après un échange de regards dans un silence encombrant, Chloé intervint.
- Bon, il va falloir que je rentre ! Qu’est ce que vous faites ?
Je me tournai vers Quentin, sourcil haussé.
- On va rentrer aussi. Allez.
Il nous fallut une petite demi-heure pour atteindre le quartier de Chloé. Nous la déposâmes, avant de nous diriger vers chez moi. Nous allâmes ranger mon vélo puis nous installâmes sur un banc. Encore.
- Bon alors ! Comment ça va toi ?
Le visage inondé de soleil, je lui répondis.
- Au top. Et toi ? T’as pas de potin à lâcher ?
- Haha, t’aimerais bien.
- Faut croire.
Il souriait.
- Pas grand chose. Tu pars quand ?
- Je pars pas.
- Ah. Tu ne devais pas aller à la campagne ?
- Non.
- Pourquoi ?
J’hésitai un instant.
- Mes parents ne veulent pas.
- Pourquoi ? s’entêta-t-il.
- J’en sais rien.
- Tu n’as pas demandé ?
- Bon ça va, tu veux voir mes papiers tant que t’y es ?
Il me jaugea. Ses lèvres s’étirèrent.
- Avec plaisir.
- Je ne les ai pas, dommage, hein ? Tu pars pas, toi non plus ?
- Si. Je prends le train samedi pour rejoindre Dallas. Il a une maison au bord de la mère, en Bretagne.
- C’est sympa.
- Ouais.
Quelques secondes s’écoulèrent.
- Bon, n’essaie pas d’éviter la question.
Je souris à mon tour.
- Quoi de beau ?
- Pas grand chose.
- Dans “pas grand chose”, il y a “chose”. Allez, raconte !
- Et c’est moi la gestapo ?
- Tu marques un point, cédai-je. Mais je vais finir par croire que tu évites vraiment la question.
Ses dents disparurent derrière ses lèvres. Il reprit un air sérieux.
- Ben, il n’y a vraiment pas grand chose, je t’assure. C’était quand, la dernière fois qu’on s’est parlé ? (Il réfléchit.) Ça doit faire deux ou trois semaines ?
- Dans ces eaux là.
- Bon alors c’est toujours aussi plat, mais je crois que je commence à me réveiller. Un peu. J’ai discuté avec une fille pendant toute une soirée au téléphone, l’autre jour. Mais, elle a un copain.
- Oh, je suis désolée. Tu sais, les couples, ça ne dure jamais éternellement. Qui est-ce ?
Je n’aurais pu rechigner s’il m’avait traitée de fouine.
- Peu importe. On a discuté, et, elle est vraiment marrante. Elle est dans un autre lycée, du coup, on a des tas de bricoles à se raconter. Surtout qu’on ne se voit pas si souvent.
- Invite-la à déjeuner ?
- Oh, vraiment ? ironisa-t-il. Merci, je n’y aurais jamais pensé sans toi !
- J’essaie juste d’être gentille.
- Je sais.
Je levai les yeux vers le Soleil. Englouti par des nuages à l’horizon, il faisait briller le Ciel de feux orangés et rosâtres. J’eus un pincement au cœur.
- Tu l’aimes bien, hein ?
J’entonnai une courte mélodie, joignant mes doigts l’un contre l’autre, sourire aux lèvres.
- Chef, oui chef !
Il mima le salut militaire. Je lui cognai l’épaule en ricanant. C’était tout de même sacrément agréable, de pouvoir se taquiner comme chien et chat. Pas vrai ?
- Et toi, Lula Rosenthal, déballe moi ta vie sentimentale ?
- Non, non, je m’en sors toujours en te soutirant des informations sans que tu n’en obtiennes une seule. Ne changeons pas les bonnes habitudes.
- Allez, tu sais que tu peux parler !
- Il n’y a rien à dire.
- J’ai du mal à y croire.
Je déglutis.
- Je t’assure.
Il me fixa droit dans les yeux, le regard interrogateur, l’air de dire : “me prends pas pour un con”.
- Vraiment, insistai-je. T’as commencé à bosser ?
- Oh ! Je préfère autant parler de mes amourettes.
- Ah oui ?
- Tu prends trop les mots au pied de la lettre.
- Je sais.
Nous rigolâmes.
Bientôt, il fut l’heure de rentrer. Quentin me déposa, puis partit.
Je soufflai, et baissai les yeux au sol. “J’ai discuté avec une fille, l’autre jour”
Je fronçai les sourcils. “Non, Lu, c’est Charlie, n’oublie pas.” Je me demandai où il pouvait bien être. Dans l’avion ? Je consultais le site de l’aéroport. Non, il n’était pas en avion, aucun vol ne joignait Paris à Naples en cet instant. Alors, où était-il, hein ? De quel côté de la frontière ? Lui parlait-on italien, ou s’adressait-on à lui d’un français bourgeoisement parisien ? Etait-il tourmenté par la faim ? Je m’aperçus que je l’étais. Mais personne n’était à la maison. Et, gourde que j’étais, je n’étais pas capable de balancer des pâtes dans une casserole. Bon. Autant attendre le retour de Maman derrière l’écran. Je lançai une série.
Quelques épisodes plus tard, la porte claqua.
Nous dînâmes, dans un silence uniquement interrompu par les sons de nos couverts choquant l’assiette, puis je retournai dans ma chambre. J’allai m’allonger sur mon lit.
Que faire ? Un film ne me disait rien - c’était trop long. J’avais fini mes séries. Pas la foi de me lancer dans un nouveau bouquin. Je me recroquevillai sur moi-même. Que faire ? Je fermai les yeux et frottai mon nez. Je passai une jambe molle sous la couette. J’étais là, pelotonnée dans les draps, les paupières closes. Mais que faire ? “Bordel, Lula, tu dois bien pouvoir trouver un truc pour t’occuper !” Je voulus réfléchir à ce que je faisais, habituellement, lorsque je m’ennuyais. J’errais sur internet, supposai-je. Je sortis l’ordinateur et l’allumai. Je parcourus quelques sites de photos, ou de discussions. Mais j’éteignis rapidement l’engin : cette activité n’occupait en rien mon ennui. Alors, que faire ?
Je jaillis hors de mon lit avec un oreiller et allai m’asseoir sur le rebord de ma fenêtre. Les tympans aux aguets, j’écoutai la rue. Les klaxons retentissaient - je n’avais pu les entendre, la fenêtre fermée. J’aperçus un feu, au coin du pâté de maisons. Il passa du vert à l’orange. A l’avant de la file, une voiture ou deux accélérèrent brutalement, puis le feu passa au rouge, et le trafic cessa. Une douce brise caressait mon visage. Un sourire s’y dessina. Enfin ! J’avais trouvé quoi faire : écouter. Et quelle activité enivrante ! Le monde extérieur tournait, mais le mien avait cessé sa course. 

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